Le répit pour les personnes autistes elles-mêmes : un besoin essentiel

Publié le 19.04.2022

Répit

Si le besoin de répit est important pour les proches aidants, il l’est aussi pour les personnes autistes elles-mêmes. Face à la surcharge et au stress générés par les interactions sociales et les stimulations sensorielles, le risque d’épuisement ou de burn-out est réel. Mais le répit prend des formes très différentes d’un individu à l’autre. Cinq personnes autistes partagent leur propre expérience et ressenti du répit.

De la même façon qu’il n’existe pas un autisme mais autant de formes d’autisme que de personnes, le répit se vit différemment d’un adulte à l’autre. “Le répit est un besoin pour tous mais nous ressentons tous le répit de manière différente. Le répit pour moi, c’est de savoir que je ne suis pas obligée de sortir de chez moi. Cela me soulage. L’idée de devoir aller à des rendez-vous avant 10 heures du matin me perturbe. J’ai mis en place des stratégies depuis des années pour éviter ce genre de situations. C’est mon répit”, témoigne Marie-Hélène Audier. 


Face à la tentation de s’adapter en permanence, Marie-Hélène Audier met en avant l’importance de s’écouter : Le fonctionnement atypique lié aux fonctionnements quotidiens dans un rythme social trop fort nous oblige à dépasser nos forces de résistance. La fatigue puis le burn-out, voire des pathologies chroniques, sont des réponses, des mécanismes de défense. Le répit, c’est avoir le temps de gérer toutes ses particularités pour un équilibre entre ce qui est agréable et bon pour moi, tout en restant acceptable par la vie en société… Le répit, c’est choisir de faire ce qui est bon pour moi et fuir les conflits sociaux, les tensions sociales, le groupe social. Le répit, c’est m’autoriser à être qui je suis !”
 

Trouver du répit quand on est parent d’enfant TSA et soi-même autiste

Pour Magali Calosini, Lucile Gabriel et Camille Allera, toutes trois mères d’enfants autistes, le besoin de répit est double : comme personne TSA, mais également comme proche aidant.
“Au travail comme dans le quotidien, les divers stimuli sensoriels, comme les bruits et les odeurs, la configuration des espaces, la gestion des imprévus, la gestion des trajets, les interactions sociales, etc. génèrent du stress et peuvent conduire à l’épuisement voire à l’effondrement”, partagent-elles.

Des difficultés vécues dans la vie quotidienne renforcées par leur implication auprès de leurs enfants : “Ce qu’ils n’arrivent pas à exprimer verbalement s’exprime par des troubles du comportement, avec beaucoup d’agressivité voire de violence. Du fait de nos propres besoins, ce genre de situation nous vide de toute notre énergie et il nous faudrait parfois 24 heures de solitude pour récupérer”, ajoutent-elles.

Après trois burn-out professionnels et actuellement en burn-out personnel, Camille Allera a dû stopper son activité professionnelle. Elle est aujourd’hui aidante familiale à temps plein, tout comme Magali Calosini. Lucile Gabriel a elle aussi fait un burn-out professionnel mais aussi maternel. Elles pointent aussi le risque d’éclatement de la cellule familiale, de divorce.
 

Une aide au quotidien qui reste insuffisante

Aujourd’hui, chacune a développé des stratégies pour trouver du répit dans son quotidien. Toutes trois regrettent cependant le manque de solutions adaptées : “Il n’y a pas réellement de solutions de répit. Et, même quand on y a droit, il est nécessaire de remplir un dossier. La prise en charge financière reste partielle… il est difficile d’avoir accès au peu de choses auxquelles on a droit”, détaillent-elles.

Magali Calosini a trouvé des professionnels en libéral pour accompagner son fils, qui est aujourd’hui scolarisé dans une école alternative. Une aide familiale s’occupe également de son fils deux heures par semaine. Autant de solutions peu ou pas prises en charge financièrement. Par ailleurs, ce soutien reste insuffisant : “Le répit pour moi serait d’avoir au moins deux demi-journées par semaine pour m’occuper de moi”, estime-t-elle.

Camille Allera est mère solo de deux enfants, dont un adolescent autiste également touché par un trouble du déficit de l’attention / hyperactivité (TDAH) déscolarisé depuis deux ans et un adolescent “multi dys”. Elle s’octroie une demi-journée par mois de répit : “En dehors de ces quelques heures, le seul vrai répit, c’est lorsque mes enfants sont en vacances pendant deux semaines chez leur père. Pendant la première semaine, je récupère de ma dette de fatigue. La seconde me sert un peu de répit et me permet de m’occuper de ce que je ne peux pas faire quand mes enfants sont présents”, décrit-elle. “J’ai des aides récentes pour moi : une conseillère familiale qui m’aide à trier et hiérarchiser mes papiers administratifs et une éducatrice du SAVS qui appelle à ma place pour les RDV médicaux de mes enfants et les miens, m’accompagne à la MDPH ou pour rencontrer le professeur principal de mon fils. Mais, malgré toutes les aides auxquelles j’ai droit, je n’ai pas assez de répit”.

Après avoir quitté le domicile familial, Lucile Gabriel, mère de trois enfants neuro-atypiques, s’appuie aujourd’hui sur son nouveau compagnon pour trouver du répit. L’un de ses fils, qui est en troisième et scolarisé à domicile via le CNED, vit désormais avec eux : “Mon conjoint gère une bonne partie des tâches familiales. Je trouve du répit en baladant mes chiens plusieurs fois par jour et en faisant une sieste quotidienne pour compenser l’épuisement cognitif et sensoriel. Grâce à mon compagnon qui fait office d’aidant familial et parce que je n’ai plus mes trois enfants à gérer quotidiennement, cela est possible.”   
 

Un besoin d’enfermement

De son côté, Jean-Claude Theuré est conscient que la nature de ses besoins de répit peut déranger. Pour lui, le répit est “nécessaire, comme le sommeil, sans lequel il ne peut y avoir de santé mentale”. Et d’autant plus pour les personnes autistes : “Je compare les personnes au fonctionnement neurotypique aux poissons qui s’oxygènent dans l'eau, naturellement, et les personnes présentant un TSA aux dauphins qui doivent remonter régulièrement à la surface de l'eau pour respirer. Le répit doit permettre de se déconnecter des contraintes environnementales qui étouffent l’individu en raison d’un handicap cognitif”, explique-t-il.

Alors qu’il travaille pendant la journée dans un bureau, il ressent la nécessité d’être enfermé la nuit. Il dort ainsi dans la rue devant le commissariat de Saint-Denis depuis de nombreuses années pour se faire entendre : “J’ai besoin d’être enfermé en cellule, tous les soirs, au commissariat, pour y passer la nuit, car c’est le seul endroit susceptible de me protéger de la pression environnementale. Pourquoi ? Parce que ce lieu est totalement dépourvu de ce qui me rappelle les exigences sociales. Je peux vivre comme tout le monde, mais pas en permanence. Ce n’est pas d’un repos ordinaire dont j’ai besoin, mais de quelque chose qui me coupe d’autorité de tout ce qui fait l’environnement habituel”, décrit-il.

Si cette réalité peut étonner, Jean-Claude Theuré met en avant qu’il est loin d’être seul à ressentir ce besoin. Il plaide pour une meilleure prise en compte des besoins spécifiques de chacun avec des protocoles de répit adaptés aux différentes situations, pouvant aller jusqu’au plus strict enfermement.