Frère ou sœur d’une personne autiste : de la connaissance à la reconnaissance

Publié le 09.06.2023

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Ils sont souvent ceux qui sont au plus près de la personne autiste, celui ou celle qui la connaît le mieux, qui a été à ses côtés à toutes les étapes de sa vie. Et pourtant, le rôle et la place des fratries sont peu connus, donc peu reconnus. Donner la parole aux frères et sœurs, mais aussi être à l’écoute de leur vécu et de leurs besoins, est une première condition pour leur apporter l’accompagnement et les soutenir dans leur parcours.

En France, on estime qu’il y a près de 700 000 jeunes aidants* – c’est-à-dire un enfant ou un adolescent qui vient en aide, de manière régulière et fréquente, à un membre de son entourage proche qui est malade, en situation de handicap et/ou de perte d’autonomie. Cette aide régulière peut être prodiguée de manière permanente ou non et prendre plusieurs formes (soins, trajets, démarches administratives, activités domestiques, coordination, soutien moral, etc.). Cette réalité est pourtant assez peu connue et reconnue. "L’aidance par les jeunes est encore trop souvent invisible, mal repérée, peu considérée. Pourtant, si être jeune aidant permet de développer des qualités de maturité précoce, d’adaptation, d’empathie, de gestion de tâches multiples, cela présente aussi des risques psycho-médico-sociaux qu’il faut prévenir à cette période cruciale du développement de la personnalité des jeunes", résume Catherine Billoet de l’association Jeunes AiDants Ensemble (JADE).

Jeunes aidants : une question à faire sortir de l’angle mort

C’est précisément pour s’attaquer à cet angle mort que le projet JAID "Recherches sur les Jeunes AIDants" a été créé au sein du Laboratoire de Psychopathologie et Processus de Santé de l’Université Paris Cité en 2017. "La première problématique rencontrée était qu’il n’existait pas de travaux académiques en France sur la question des jeunes aidants – et encore moins sur celle des frères et sœurs aidants", explique Géraldine Dorard, co-créatrice du projet avec Aurélie Untas. "Par ailleurs, lors de mes accompagnements en tant que psychologue dans le champ de la pédopsychiatrie, il apparaissait que les frères et sœurs étaient peu associés à la prise en charge du patient en dehors des thérapies familiales, qui sont loin d’être généralisées dans les services » . Or, ils existent et la maladie ou le handicap de leur frère ou sœur a des répercussions sur leur vie."


Ainsi, au fil des entretiens et études JAID menés auprès de jeunes aidants, plusieurs caractéristiques émergent. "On voit ainsi qu’ils peinent à se reconnaître eux-mêmes en tant qu’aidants. La conscience de leur rôle leur apparaît souvent plus tard. Certains peuvent aussi avoir un sentiment de culpabilité : par exemple de pouvoir vivre sa vie normalement, alors que son frère ou sa sœur ne le peut pas. D’autres se retrouvent dans une situation de “parentification”, c’est-à-dire qu’ils prennent à leur charge une inquiétude ou des tâches qui sont d’ordinaire dévolues aux parents… Quelques-uns nous ont également fait part de leur peur de créer davantage de soucis à leurs parents : pour eux, il ne faut surtout pas “faire de vagues”…", précise Géraldine Dorard.

Autre point d’attention particulier : toutes les périodes de transition. Que cette transition soit un moment charnière du point de vue du développement de l’enfant – notamment à l’adolescence qui peut être un moment de vulnérabilité plus forte. Mais aussi quand il s’agit d’un changement d’environnement. "Par exemple si un collégien de 3e arrive dans un nouvel établissement, va-t-il oser parler de la situation de son frère ou de sa sœur ? Va-t-il pouvoir assumer cette différence ? Il faut être attentif au degré de stigmatisation intériorisée que l’enfant peut porter en lui et qui peut le faire souffrir", complète Géraldine Dorard.

Une expérience qui façonne l’identité

Ces mêmes constats sont partagés par Cécile Rattaz, psychologue et docteure en psychologie au CRA Languedoc-Roussillon. Elle anime depuis plusieurs années avec sa collègue, Céline Alcaraz, des groupes de parole pour les frères et sœurs d’enfants en situation de handicap. "Dans tous les entretiens que nous avons menés, une chose apparaît clairement : être frère ou sœur d’un enfant autiste ou porteur d’un handicap façonne l’identité. Les impacts peuvent aussi bien être positifs que négatifs. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il s’agit d’une expérience qui est au cœur de leur histoire." La clé est alors de comprendre les spécificités de leur vécu et de leur donner la possibilité de l’exprimer en toute liberté. "C’est tout l’enjeu des groupes de parole que nous avons créés, qui sont des lieux d’expression où ils peuvent dire leurs émotions, qu’elles soient positives ou non, ce qu’ils vivent au quotidien, les contraintes qu’ils rencontrent, leur peur de l’avenir quand les parents ne seront plus là… Et surtout qu’ils puissent les partager avec d’autres enfants qui connaissent une expérience similaire."

Parler et se sentir écouté

La psychologue Céline Dumé et l’éducatrice spécialisée Julie Caulet ont également créé des ateliers fratries destinés aux frères et sœurs d’enfants avec autisme. "Notre objectif était de pouvoir leur proposer un espace rien que pour eux, non pas en tant qu’aidant ou tuteur de leur frère ou sœur, mais en tant qu’individu", explique Céline Dumé. "Il n’y a pas  de manières uniformes de vivre les choses. Par exemple, il y a ceux qui vont se sentir surresponsabilisés, ceux qui ne savent pas quoi répondre quand on les interroge sur leur frère ou sœur, ceux à qui on ne demande jamais comment ça va… Donc, lors de ces ateliers, nous ne leur apportons pas des connaissances descendantes. Nous partons toujours de leurs propres vécus, besoins et questionnements", précise Julie Caulet. 

"En fait, je ne peux parler à personne de ma situation, rebondit Inès, 13 ans, qui a participé aux ateliers fratries de Céline Dumé et Julie Caulet. Mes plus proches amies, même si elles sont bienveillantes avec moi, ne comprendraient pas que c’est une responsabilité en plus d’avoir une petite sœur autiste. C’est aussi uniquement dans ce groupe fratries que j’ai pu parler de la question du futur. C’est bien de savoir qu’on n’est pas tout seuls dans l’histoire !"

* Chiffre de l’association Jeunes AiDants Ensemble (JADE).

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